Anorexie mentale
Dernière modification : 04.10.2021
L'anorexie mentale se caractérise par une restriction des apports alimentaires conduisant à une perte importante de poids associée à une peur intense de prendre du poids.
Sémiologie
Ce trouble est relativement rare et à prédominance féminine, 1,4% chez les femmes et 0,2% chez les hommes. Les cas sub-syndromiques sont plus fréquents.
Le motif de consultation est rarement celui de trouble alimentaire mais plutôt pour des symptômes digestifs, besoin de conseils pour perdre du poids, troubles de l' humeur , anxiété, troubles du sommeil ou de la concentration.
Il existe des populations à risque :
- adolescentes, jeunes femmes
- mannequins, danseurs et sportifs (disciplines esthétiques ou à catégorie de poids : sports valorisant ou nécessitant le contrôle du poids ; disciplines à faible poids corporel tels les sports d’endurance), notamment de niveau de compétition,
- sujets atteints de pathologies impliquant des régimes telles que le diabète de type 1, l’hypercholestérolémie familiale etc.,
La sémiologie des troubles est essentiellement centrée sur 3 champs :
- La perte de poids plus ou moins rapide et souvent banalisée,
- La restriction, progressive, quantitative (comptage des calories) et qualitative (aliments gras et sucrés surtout),
- La perception de son corps ou de son poids.
Il existes d'autres stratégies de contrôle du poids comme :
- des vomissements provoqués,
- la prise de laxatifs, de diurétiques, de coupes-faim, d'hormones thyroïdiennes ou de dérivés des amphétamines,
- une potomanie ,
- une hyperactivité physique,
- des expositions accrues au froid.
On note des distorsions cognitives telles que :
- l'absence de conscience du trouble,
- des préoccupations excessives autour du poids et de l’alimentation,
- des croyances erronées sur le fonctionnement digestif et les aliments (aliments contaminants, nocifs…),
- une altération de la flexibilité cognitive.
L'aménorrhée:
- n'est plus un signe cardinal pour le diagnostic (patientes sous contraception orale),
- elle est primaire ou secondaire,
- elle est associée à une infertilité.
On retrouve des traits de personnalité souvent associés au trouble :
- de type obsessionnel tels qu'un perfectionnisme , un ascétisme, une recherche de contrôle,
- un surinvestissement intellectuel, au détriment des autres champs relationnels et affectifs.
Diagnostic positif
- Restriction des apports énergétiques + poids significativement bas.
- Peur intense de prendre du poids et de devenir gros, malgré une insuffisance pondérale.
- Dysmorphophobie , faible estime de soi (influencée excessivement par le poids ou la forme corporelle), ou manque de reconnaissance persistant de la gravité de la maigreur actuelle.
Formes cliniques
Les signes d'alerte seront différents selon l'âge de présentation.
Chez l’enfant (en l’absence de critères spécifiques et dès l’âge de 8 ans)
- Ralentissement de la croissance staturale
- Changement de couloir, vers le bas, lors du suivi de la courbe de corpulence (courbe de l’indice de masse corporelle)
- Nausées ou douleurs abdominales répétées
Chez l’adolescent (outre les changements de couloir sur la courbe de croissance staturale ou la courbe de corpulence)
- Adolescent amené par ses parents pour un problème de poids, d’alimentation ou d’anorexie
- Adolescent ayant un retard pubertaire
- Adolescente ayant une aménorrhée (primaire ousecondaire) ou des cycles irréguliers (spanioménorrhée)plus de 2 ans après ses premières règles
- Hyperactivité physique
- Hyperinvestissement intellectuel
Chez l’adulte
- Perte de poids > 15 %
- IMC < 18,5 kg/m2
- Refus de prendre du poids malgré un IMC faible
- Femme ayant une aménorrhée secondaire
- Homme ayant une baisse marquée de la libido et de l’érection
- Hyperactivité physique
- Hyperinvestissement intellectuel
- Infertilité
Diagnostics différentiels
- Tumeurs cérébrales, hémopathies (leucémies).
- Maladies du tractus digestif : maladie de Crohn, achalasie de l’oesophage.
- Hyperthyroïdie, diabète insulinodépendant, panhypopituitarisme, maladie d’Addison.
- Trouble obsessionnel compulsif.
- Trouble psychotique : schizophrénie, trouble délirant persistant.
- Phobies alimentaires : trouble phobique.
- Boulimie.
- Trouble dépressif.
Comorbidités
- Trouble dépressif.
- Trouble obsessionnel compulsif surtout, autour de rituels de rangement, vérification et lavage.
- Phobie sociale
- Trouble anxieux généralisé.
- Trouble de la personnalité borderline ou état limite.
- Troubles addictifs : surtout abus et/ou une dépendance aux psychotropes.
Complications
L’anorexie mentale se caractérise par la gravité potentielle de son pronostic :
- risque de décès ( suicide , complications somatiques) : il s’agit de la maladie psychiatrique qui engendre le taux de mortalité le plus élevé, jusqu’à 10 % dans les études comportant un suivi de plus de 10 ans ;
- risque de complications somatiques et psychiques nombreuses : défaillance cardiaque, ostéoporose, infertilité, dépression, suicide , etc. ;
- risque de chronicité, de rechute et de désinsertion sociale
Évaluation
Le repérage et la prise en charge précoces de l’anorexie mentale sont recommandés pour prévenir le risque d’évolution vers une forme chronique et les complications somatiques, psychiatriques ou psychosociales, en particulier chez les adolescentes.
Dépistage en population générale :
Il est recommandé :
- de suivre systématiquement les courbes de croissance en taille, poids et corpulence chez les enfants et adolescents pour identifier toute cassure des courbes et calculer leur l’indice de masse corporelle2 (IMC) ;
- de calculer et suivre l’IMC chez les adultes.
Dépistage chez les populations à risque :
- poser systématiquement une ou deux questions simples sur l’existence de TCA telles que : « avez-vous ou avez-vous eu un problème avec votre poids ou votre alimentation ? » ou « est-ce que quelqu’un de votre entourage pense que vous avez un problème avec l’alimentation ? » ;
- ou d’utiliser le questionnaire SCOFF-F où deux réponses positives sont fortement prédictives d’un trouble du comportement alimentaire.
Recherche des signes de gravité, des comorbidités et des complications :
- Examen physique complet
- ECG, hémogramme, ionogramme
- comorbidités psychiatriques & risque suicidaire
Conduite à tenir
Quand adresser à un addictologue, à un psychiatre ?
- la prise en charge est multidisciplinaire,
- le médecin traitant peut se positionner en médecin coordinateur de la prise en charge,
- il convient d'associer à la prise en charge un médecin gérant les aspects somatiques (qui peut être le médecin de premier recours) et un psychiatre, pédopsychiatre ou psychologue,
- l'orientation vers des soins spécialisés dans les troubles alimentaires pourra se faire en cas de besoin d'un avis diagnostique ou thérapeutique, ou pour assurer la coordination des soins.
Les objectifs de la prise en charge sont :
- la recherche d’une alliance thérapeutique,
- l'information sur l’anorexie mentale et ses complications, les ressources et lieux d'aides disponibles,
- la prise en charge des comorbidités psychiatriques et non psychiatriques,
- la restauration du poids avec un objectif de fourchette de poids "santé".
Attention au syndrome de renutrition inapproprié.
L'intervention psychosociale consiste en :
- la psychoéducation,
- l'entretien motivationnel peut être utilisé pour aider à l'adhésion au traitement et aux changements de comportement,
- la thérapie de soutien est utile tout au long du suivi,
- lorsque la patiente a récupéré un poids normal, les thérapies systémiques familiales, les thérapies cognitives et comportementales peuvent être indiquées.
Adresser aux urgences / en hospitalisation si:
- Perte de poids ≥ 20 % en 3 mois, malaises, chutes ou pertes de connaissance, vomissements incoercibles, échec de la renutrition ambulatoire, restriction extrême (refus de manger et/ou boire).
- Clinique : idéations obsédantes intrusives et permanentes, incapacité à contrôler les comportements compensatoires, nécessité d’une assistance nutritionnelle (sonde nasogastrique), amyotrophie importante avec hypotonie axiale, déshydratation, hypothermie, hypotension artérielle ou bradycardie.
- Paracliniques : anomalies de l’ECG, hypoglycémie, ASAT ou ALAT › 10 N, troubles hydroélectrolytiques ou métaboliques sévères, insuffisance rénale, leucopénie ou neutropénie.
- Risque suicidaire.
- Comorbidités sévères.
- Échec de la prise en charge ambulatoire.
- Isolement, épuisement de l'entourage.
Traitement médicamenteux :
- Il n'existe pas de traitement pharmacologique spécifique.
- Les traitements antidépresseurs ou antipsychotiques peuvent être indiqués en cas de comorbidités psychiatriques mais sont à utiliser avec prudence sur un terrain dénutrition (allongement QT).
Références
HAS, Recommandations sur la prise en charge de l'anorexie mentale
AESP, CNUP, & CUNEA. (2021). Référentiel de Psychiatrie et Addictologie (3e édition conforme au nouveau programme) Psychiatrie de l’adulte. Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Addictologie (Presses Universitaires François Rabelais).
The Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (5th ed.; DSM–5; American Psychiatric Association [APA], 2013).